CHAPITRE PREMIER

Histoire de mon départ pour l'Amérique

 

Après le plaisir de voyager, il n'en est pas de plus grand, a-t-on dit, que celui d'écrire ses impressions de voyage.

 

À moins pourtant que ce ne soit le plaisir de rester tranquillement chez soi, au chaud dans l'hiver, au frais dans l'été, et de se borner à lire les récits des voyageurs sur les périls effrayants qu'ils ont ou qu'ils n'ont pas affrontés, sur les curiosités de toutes sortes qu'ils ont ou qu'ils n'ont pas observées. C'est affaire de goût, et la sagesse des nations nous enseigne qu'il n'en faut pas discuter, pas plus que des couleurs.

 

Toujours est-il que (les circonstances assez curieuses pour n'être pas passées sous silence, m'ayant conduit à visiter, un peu dans tous les sens, les États-Unis d'Amérique, il m'a paru agréable de consigner, au courant de la plume, je l'avoue, et au hasard du souvenir, les relations de mon voyage transatlantique.

 

Ce voyage date du mois de juillet 1859, et voici le motif qui l'a déterminé.

Je me nomme Marcel Bonneau, je touche à la trentaine, je suis artiste peintre de ma profession, comme on dit.

 

La profession n'est pas déshonorante, certainement, mais elle n'est pas toujours très lucrative, depuis surtout que le soleil charbonne, à vil prix, des portraits très ressemblants, ma foi ! Un portrait à faire, pour un véritable peintre en chair et en os, est donc une bonne fortune qui devient de plus en plus rare pour tout artiste d'un talent modeste tel que moi.

 

Aussi fus-je très agréablement surpris quand, un beau matin, je reçus une lettre du secrétaire de sir James Clinton, ancien colonel des horse-guards, et possesseur d'une grande fortune.

 

Le secrétaire de M. Clinton m'invitait à me rendre sans retard à l'hôtel de ce très millionnaire et très noble personnage, car il était descendant d'une ancienne famille de baronnets, pour lui faire son portrait.

 

Revêtir l'habit des grandes occasions et me transporter de la place Bréda, où était situé mon atelier, au faubourg Saint-honoré, où vivait le colonel Clinton, fut l'affaire de quelques minutes.

 

Ce personnage, auprès duquel je fus immédiatement introduit, était alors âgé de cinquante-deux ans. D'une taille au-dessus de la moyenne, il portait sur son visage pâle et amaigri, aux traits fins et réguliers, l'empreinte de cette tristesse particulière à la race anglo-saxonne, tristesse essentiellement maladive, bizarre, qui fatalement conduit au suicide, et qu'on appelle le spleen.

 

Il jeta sur moi un regard indifférent et me dit en très bon français, mais avec un accent très sensible :

 

— Êtes-vous M. Marcel Bonneau?

— Oui, colonel, répondis-je.

— C'est vous qui avez peint et exposé à la dernière exposition une procession de pierrots à la descente de la Courtille?

— C'est moi-même, colonel.

— Votre manière de peindre me plaît, et je désire que vous fassiez mon portrait en pied. Combien de temps vous faudra-t-il pour achever ce travail ?

— Cela dépendra, colonel, du temps que vous-même vous voudrez bien me consacrer.

— Je poserai tous les jours aussi longtemps que vous voudrez.

— Dans ce cas, j'espère avoir terminé en deux mois.

— Deux mois, c'est bien long. Cela dérangerait mes dispositions. Ne pourriez-vous pas terminer en un mois?

 

— Avant tout, colonel, je voudrais que mon travail fût digne de l'honneur que vous me faites en me choisissant pour votre peintre, et pour cela il convient de ne pas se presser. Mais enfin, puisque vous ne voulez m'accorder qu'un mois, je ferai mon possible pour vous satisfaire dans ce laps de temps.

 

— Tous les jours, ajouta le colonel, je m'absente deux heures, de trois à cinq, pour surveiller une construction; le reste du temps, je vous le consacrerai. Veuillez apprêter ce qu'il faut, nous commencerons demain.

 

Le lendemain, en effet, sir James Clinton me donnait sa première séance.

Mon noble modèle ne me dit pas un mot, et posa avec une conscience que j'ai bien rarement trouvée chez les modèles ordinaires, à cinq francs la séance.

 

À trois heures précises, un domestique vint annoncer que la voiture de sir James Clinton était attelée.

 

— C'est le moment, me dit le colonel, d'aller visiter ma construction. À demain donc, monsieur Marcel Donneau. Vous pouvez, ajouta-t-il, rester ici tant qu'il vous plaira, et continuer de travailler seul, si vous le jugez nécessaire.

 

J'étais fatigué de cette longue et muette séance ; aussi je fis au plus vite ma palette et me retirai.

 

Le lendemain et les jours suivants se passèrent exactement comme la veille. Sir James ne me dit pas un mot. Par déférence, je ne lui adressai pas la parole, et le silence ne fut rompu que par la voix du domestique qui vint annoncer à son maître que la voiture était prête pour aller visiter la construction.

 

Huit jours se passèrent ainsi. Devant cet homme, véritable spectre vivant, je sentais l'ennui me pénétrer par tous les pores, et je me pris à envier le régime, pourtant peu folâtre, des frères de la Trappe.

 

Au moins, pensai-je, ces austères pénitents prononcent quelques mots lorsqu'ils se rencontrent : Frère, il faut mourir, dit l'un; à quoi l'autre répond : Il faut mourir, frère. C'est toujours cela de pris sur l'ennemi, c'est-à-dire sur le mutisme qu'on s'est infligé. Mais avec sir James on n'a même pas cette chétive consolation, et il faut mourir d''ennui, sans avoir la satisfaction de se le dire.

 

Je craignis que ma peinture ne souffrit de cette disposition de mon esprit, et, voyant tout en noir, j'eus peur de peindre tout en gris. Aussi, dans l'intérêt de l'œuvre que j'avais entreprise, autant que pour moi-même, je résolus de rompre la glace, et le neuvième jour le dialogue suivant s'établit entre moi et sir James Clinton.

 

— Trois heures ne vont pas tarder à sonner, colonel; c'est l'heure où vous allez visiter votre construction. Je le regrette, car il me faudra remettre à demain pour achever un détail que j'aurais voulu peindre en entier aujourd'hui... Mais enfin je comprends parfaitement que Votre Seigneurie veuille aller visiter sa bâtisse à trois heures précises.

 

— C'est mon habitude depuis le jour où j'ai fait commencer cet édifice.

— Si je ne craignais de paraître indiscret, je vous demanderais, colonel, de quel côté se trouve située votre propriété.

— Du côté de la barrière de la Roquette.

— Et vous comptez y habiter, colonel?

— Oui, dit-il, je compte m'y fixer dans un mois.

— Ne trouvez-vous pas que ce quartier de Paris est un peu triste?

— Non.

— Je craignais que le voisinage du cimetière...

— J'aime les cimetières, dit sir James Clinton en m'interrompant d'un ton de voix qui me glaça.

 

Mon funèbre modèle étant, comme d'habitude, parti pour visiter sa construction, j'eus la curiosité de demander quelques éclaircissements à ce sujet.

 

— Savez-vous au juste, dis-je au domestique qui m'aidait à remettre en ordre mes matériaux de peinture, après chaque séance, où se trouve situé le terrain sur lequel sir James Clinton fait construire sa maison de plaisance?

 

— Oui, me répondit le domestique; ce terrain est situé dans le cimetière du Père-Lachaise, et ce que vous appelez sa maison de plaisance n'est autre chose qu'un tombeau.

 

Le pinceau faillit s'échapper de mes mains. Je me rappelai les paroles du colonel concernant sa propriété «Je compte m'y fixer dans un mois» or un mois était précisément le temps qu'il m'avait accordé pour faire son portrait.

 

Nul doute, pensai-je, le malheureux a l'intention de se tuer, et, en véritable Anglais, il pousse l'excentricité jusqu'à vouloir se faire construire une tombe suivant ses goûts; ailleurs il ne se trouverait pas bien!

 

Le lendemain, je me sentis très mal à mon aise devant cet homme qui, possédant, et bien au-delà, tout ce qu'il faut pour être heureux en ce monde, fortune, titres, etc., s'était volontairement condamné à mort, et avait fixé le jour de son exécution. Bientôt, la pitié succédant à l'effroi, je conçus l'espoir de pénétrer la cause de ce dégoût de la vie, et de détourner cette âme malade d'un projet si criminel.

 

RECHERCHE SUR LE SITE  

(Exemple: Henri+Menier)



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Livres et documents sur Anticosti

(50) (Nouveau)

Cahiers d'entretiens avec des Anticostiens (1976-1981) par LUC JOBIN, 160 pages

(49) (Nouveau)

Collection Desbiens

 Ces 174 photographies font partie de la collection Desbiens. Ces documents sont présentés pour la première fois grâce à LUC JOBIN.

(47) Le journal LE SOLEIL publie en 1897, 1898 et 1899, et rapportées ici, les actualités, rumeurs et nouvelles qui provenaient de l'île d'Anticosti au début de l'ère Menier.

(46) Actes Notariés - en 1899 Henri Menier achète de 26 habitants anticostiens 28 lots de terrains et habitations dans le but de devenir le seul propriétaire sur l'île.

(45) Anticosti sous Gaston Menier (1913-1926) par Rémy Gilbert. Document inédit de 24 pages par l'auteur du livre «Mon île au Canada», 1895-1913, les Éditions JID.

 

(44) Suite à une demande de Menier pour la concession de lots de grève et de lots à eau profonde à Baie-Ellis, Félix-Gabriel Marchand, premier ministre et Simon-Napoléon Parent, maire de Québec font une visite sur l'île d'Anticosti (voyage raconté par le journaliste du journal Le Soleil, 1898). 4 pages.

 

(43) Gaston, Albert et Henri Menier, leurs yachts en image. référence: Voiles/Gallimard, Les mémoires de la mer, Jack Grout.

 

(42) 1827, naufrage du Harvest Moon au large d'Anticosti. En 1928 le fils d'un naufragé raconte.

 

(41) En 1850 on envisageait de faire de l’île d’Anticosti, une prison. Journal Le «Canadien», le 21 juin 1850

 

(40) Le steamer «Le Merrimac» s'échoua sur l'île d'Anticosti en 1899. Le journal Le soleil raconte l'aventure, liste des passagers et biographie de l'un d'entre eux, un québécois.

 

(39) L'Aberdeen, un steamer de ravitaillement des phares s'échoua en 1899 près du cap Jupiter, Anticosti; un passager raconte.

 

(38) M. Clarke Wallace (1844-1901) membre du parlement canadien était un adversaire de l’île d’Anticosti de M. Menier. LA PATRIE, LE 11 AOÛT 1899

 

(37)  En 1902, l'honorable Charles Marcil, député de Bonaventure livre à un journaliste ses impressions sur Anticosti. M. Marcil est le grand-père de la comédienne Michèle Tisseyre.

 

(36) Bail entre Gaston Menier et la commission du Hâvre de Québec, pour la location de locaux au Bassin Louise de Québec, le 29 décembre 1920, devant notaire.

 

(35) Vente d'Anticosti le 19 juillet 1926 à la Wayagamac Pulp and Paper devant le notaire E.G. Meredith.

 

(34) Exploration Vaureal-Jupiter, Anticosti, entre le 7 et le 28 mars 1901 par Ovila Montreuil ingénieur civil, assistant de Jacquemart, chef du service des travaux.

 

(33) Le Croiseur anglais HMS Pallas s'arrêta à Anticosti en 1900, dont le capitaine était l'Honorable Walter G. Stopford. Article paru dans le Petit Journal Militaire, Maritine, Colonial le 25 septembre 1904.

 

(32) NOTAIRES - 20 actes notariés du temps de Menier

 

(31) L'acte de vente d'Anticosti à Menier le 18 décembre 1895 devant le notaire William Noble Campbell

 

(30) Le testament de Louis-Olivier Gamache le 22 septembre 1851 devant le notaire Jos. Pelchat

 

(29) Rapport du ministre de l'agriculture de la Province de Québec, 1909.
Lauréat de la médaille d'argent et du diplôme de Très-Grand-Mérite:
Alphonse Parent, Baie Ellis, Anticosti.
Index de 57 noms, 16 pages

 

(28) Lettre de Mgr J.C.K. Laflamme à Henri Menier, septembre 1901 

 

(27) Lettre de Joseph Schmitt à Mgr J.C.K Laflamme le 17 juillet 1901

 

(26) Lettre de Joseph Schmitt à Mgr J.C.K. Laflamme le 5 juillet 1901

 

(25) Lettre de Henri Menier à Mgr J.C.K. Laflamme le 5 octobre 1901

 

(24) Permis de séjour du 15 août au 30 septembre 1901 délivré à Monseigneur J.C.K Laflamme par L.O. Comettant.

 

(23) En 1899, 16 journalistes ont visité l'île Anticosti. Voici ce qu'ils ont raconté.

 

(22) Titre en faveur de Louis Jolliet par Jacques Duchesneau, 1680

 

(21) L'île Ignorée, TOME 2, manuscrit de Georges Martin-Zédé achevé en 1938, (archives de l'Université Laval), édité ici pour la première fois avec un index de 303 noms, 42 pages.

 

      L'île Ignorée, TOME 1, par Georges Martin-Zédé, manuscrit de Georges Martin-Zédé achevé en 1938, (archives de l'Université Laval), édité ici pour la première fois avec un index de 114 noms et 24 illustrations, 33 pages.

 

(20) Voir le vidéo, journal LE MONDE

Jerôme Verroust, journaliste français, parle du parcours de guerre de son arrière-grand-père, Fernand Le Bailly sur cet entretien vidéo au journal Le Monde. Fernand Le Bailly a séjourné sur l’île Anticosti à partir de 1896. Il était marié à Simone Lavigne, petite-fille de Oscar Comettant.

 

(19) Monographie de l'île d'Anticosti par le docteur Joseph Schmitt, 1904, 370 pages.

 

(18) À la mémoire de feu Arthur Buies, journal le Soleil, le 28 janvier 1901.

(17) Arthur Buies, journal le Soleil, Lettre à Ernest Pacaud, le 30 septembre 1899.

 

(16) Arthur Buies, journal Le Soleil, Anticosti, le 23 septembre 1899.

 

(15) La date de la mort de Jolliet, 1886, par l'abbé Cyprien Tanguay

 

(14) Projet de perpétuer le souvenir de Jolliet, 1980, par Luc Jobin, article de Monique Duval, Le Soleil.

 

(13) Lettre de Mgr Charles Guay à Mgr Clovis-Kemner Laflamme, 1902

 

(12) Notice sur l’île Anticosti par Jules Despecher (1895), 6 pages

 

(11) Anticosti par Damase Potvin (1879-1964), 6 pages

 

(10) Le journal de Placide Vigneau (1842-1926) 

 

(9) Histoire et légendes d'Anticosti. Jolliet, Gamache, Ferland, Vigneau et les naufrages, 6 pages.

 

(8) Lettre de Fernand Le Bailly à Mgr. Joseph-Clovis K. Laflamme en 1905.

 

(7) Correspondance du Consul de France, M. Kleskowsk.

 

(6) Cahiers-carnets-agendas de Martin-Zédé (1902-1928).

 

(5) Registre de pêche aux saumons (1896-1928) de Henri Menier sur l'île Anticosti.

 

(4) Entrevue avec Luc Jobin, par Lucien Laurin, le 8 avril 1982.

 

(3) Anticosti 1900, C. Baillargé, 14 pages. (Lire sur Ipad)

 

(2) Oui, j'ai aimé... ou la vie d'une femme, Thyra Seillières, 1943, conjointe de Henri Menier, 244 pages. (Lire sur Ipad)

 

(1) Anticosti, esquisse historique et géographique par Nazaire Levasseur, 1897, 40 pages. (Lire sur Ipad)

 

(0) Lettres de l'Ile Anticosti de Mgr Charles Guay, 1902, 312 pages.

Le 30 mars 2011

 

Rajout: 77 partitions musicales de la main de Lucien Comettant alors qu'il était gouverneur de l'Ile Anticosti. Ces documents dormaient dans une boite depuis 100 ans. Il s'agit de pièces musicales de style victorien pour piano (et violon).

 

Plusieurs livres ont été ajoutés dans la bibliothèque dont:

 

(1) La ville de Québec sous le régime français, volume 1, 1930, 549 pages 

     La ville de Québec sous le régime français, volume 2, 1930, 519 pages

 

(2) Zéphirin Paquet, sa famille, sa vie, son oeuvre. Québec, 1927, 380 pages. Notre arrière-grand-mère était la fille de Zéphirin. Il est le fondateur de la Compagnie Paquet de Québec.

 

(3) L'île d'Orléans, livre historique publié en 1928, 505 pages

 

(4) La biographie du docteur Ferdinand Philéas Canac-Marquis écrite par Nazaire LeVasseur, 1925, 276 pages. Ferdinand est le frère de Frédéric Canac-Marquis, notre arrière-grand-père.

 

Nazaire LeVasseur, l'auteur, est le père de Irma LeVasseur, première médecin femme canadienne-française et fondatrice de l'hôpital Ste-Justine. Il avait été l'agent de Henri Menier et de Martin-Zédé à Québec pour l'entreprise Anticosti.

 

Pauline Gill a récemment écrite un roman historique sur Irma LeVasseur et parle dans son livre de Nazaire LeVasseur et de Ferdinand Canac-Marquis, fils de Frédéric Canac-Marquis