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Claire Martin raconte son père Ovila Montreuil

Ovila Montreuil
Ovila Montreuil
Claire Martin - Montreuil
Claire Martin - Montreuil

Claire Martin (née en 1914) femme de lettres québécoise, fille de J.O. Montreuil,
Claire Martin (née en 1914) femme de lettres québécoise, fille de J.O. Montreuil,

(1) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

Mes parents s'étaient réconciliés en juin. En juillet,  maman devint enceinte de son cinquième enfant. Quel pouvait être l'état d'esprit de cette pauvre douce et faible femme en se retrouvant, comme devant, productrice de petits malheureux dont elle savait bien qu'une partie de leur vie, au moins, serait abominable?

 

En tout cas, elle les faisait solides. Celui-là eut l'occasion de le prouver dès les langes.

 

Si les adultes s'arrêtaient pour réfléchir un peu, en passant, au phénomène de la mémoire chez leur enfant, combien elle est fidèle, combien précocement elle emmagasine ses souvenirs, tout leur comportement s'en trouverait peut-être changé, par crainte d'avoir honte devant cet autre adulte que deviendra l'enfant. Accueillir une pensée qui aurait pu le conduire à se refuser le plaisir de la colère? Mon père? Pas question.

 

Pour moi, c'est comme si cela s'était passé hier. Maman monte pour coucher le bébé. Mon père la suit. Quelques instants plus tard, nous entendons des cris et des bruits terrifiants.

Le bébé dégringole l’escalier jusqu’en bas suivi de maman qui, faute d’être emmaillotée comme son fils, y met plus de temps. Beaucoup plus. Interminablement. Nous, les enfants, nous serrions les uns contre les autres sans oser sortir de la cuisine où nous étions.

 

Tout petits, nous apprenions, je ne sais comment mais nous l'apprenions, qu'en ces sortes de circonstances il fallait feindre de ne rien voir, de ne rien entendre, de ne pas pleurer, ne pas crier. Mais les tyrans souffrent tous, dans leurs systèmes, de cette même faiblesse: ils ne peuvent empêcher les tyrannisés de penser. J'avais trois ans et demi. C'est bien peu pour choisir la haine et le mépris.

 

Dans la soirée, le frère de mon père qui, par chance, était un habile oto-rhino-laryngologiste, vint soigner maman. Elle avait - je la vois - le visage noir. Le nez cassé, était énorme. Mon oncle faisait un drôle de tête. C'est qu'il connaissait son grand frère et la fable que maman, dans sa bonté et sa frayeur, choisit de raconter, ne trouva pas chez lui de crédulité. §


(2) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

Mais mon enfance est pleine d’histoires de ce genre: des gens qui se taisent et des enfants qui n’osent questionner.

 

Et pourtant, il me plaisait bien, cet oncle. Il ressemblait à mon père par les traits, les couleurs, mais un je ne sais quoi faisait que ces deux frères étaient totalement différents tant il est vrai que le corps cache mal la vérité intérieure.

 

Mon oncle, c’était mon père civilisé, pastellisé, comme poudré de bienséance. Il avait la parole douce et rare, l’allure aristocratique. Il me semblait une sorte de seigneur et je l’aurais bien volontiers échangé, si peu que le connusse, contre l’auteur de mes jours.

 

Mais il n’était pas question de le fréquenter car il n’était, ni lui ni sa famille, de notre espèce.

 

Nous étions de la bonne espèce. Eux, de la mauvaise. Ils voyaient des gens, ils sortaient, ils recevaient terriblement la vie heureuse et normal. Très peu pour nous!

 

Au fond, mon père ne détestait pas son frère. Mais celui-ci menait, comme tout le monde, au reste, comme tout le monde, une vie que mon père n’approuvait pas. Seul, dans tout l’Univers, mon père menait une vie que mon père approuvait.

 

Je n’oublierai jamais les longs, les patients interrogatoires qu’il me fit subir quand j’allai faire soigner mes otites. Surtout lors de la deuxième. N’avais-je eu connaissance de rien de mal? Ne m’avait-on rien offert à boire? Ou n’avait-on rien bu devant moi? Si. Ma tante et moi avions pris de la citronnade?

 

— Mais… un verre de vin?

                                                                            

Non, ni un ni deux. Mais, n’étais-je pas assez menteuse pour m’en cacher? Alors, ne m’avait-on pas tenu de propos subversifs? Ne m’avait-on rien dit que… qui… dont…? Bien sûr qu’on ne m’avait rien dit de tel et m’eût-on raconté les choses les plus effarantes du monde que je me serais bien gardée de les répéter. Cachés derrière un air cruche à décourager un saint, bouche cousue, c’est comme ca que nous avons grandi.

 

Cependant, ce n’était pas de frayeur que nous souffrions le plus. C’était, d’abord d’ennui. Tout était défendu : courir, crier, s’éloigner si peu que ce fût de la maison. Nous n’avions pas de jouets. Ceux que grand-papa et grand-maman s’étaient, au début, risqués à nous donner, avaient attiré à maman des reproches sans fin.

 

Pourquoi n’avoir pas employé cet argent à nous offrir des vêtements? Aussi, fallait-il nous voir déballer nos étrennes : des pantoufles, des gants, des culottes, des bas, des souliers. Quand nous avions fini d’ouvrir les cartons, mon père faisait toujours une colère parce qu’il y avait des papiers et des rubans sur le parquet.

 

Il fallait se hâter de tout ranger. C’était d’autant plus facile qu’on ne faisait pas, chez-nous, d’arbre de Noël. Les cadeaux étaient disposés sur les fauteuils du salon. À huit heures du matin, tout était redevenu comme les jours ordinaires où les rires étaient défendus.

 

Le moindre rire, d’ailleurs pouvait nous mener loin. Mon père ne voyait dans le rire qu’un symptôme de lubricité. Et de lubricité, nous avons tous été soupçonnés dès le berceau.

 

Pourtant, nous ne riions guère, mais c’était encore trop quand on considère à quoi cela nous exposait. Un dimanche matin – je devais avoir à peu près trois ans et demi puisque mon frère aîné avec qui j’avais deux ans d’écart n’allait pas encore à la messe et que la règle, chez nous, était de s’y rendre à partir de six ans – mon frère et moi étions à la maison avec mon père pendant que maman et mes sœurs assistaient à l’office et que le bébé dormait au premier étage.

Ce mot nouveau pour moi me sembla si cocasse que je sombrai dans un four rire irrépressible.

 

Nous étions  assis, les deux enfants, sur la dernière marche de l’escalier. Mon père travaillait dans son bureau. Je ne sais pas, assurément, ce que nous disions André et moi mais je me rappelle fort bien qu’il prononça le mot «individu».

 

J’ai du reste observé que ce mot provoque souvent l’hilarité des enfants. André tenta de me faire taire mais il semble que j’avais, déjà, le fou rire catastrophique.

 

Au reste, il fut tout de suite trop tard. En  moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous avions été empoignés et conduits l’un dans le cabinet de travail, l’autre dans la salle à manger.

 

Si petit qu’on soit, on sort d’une telle aventure avec une idée fort juste, et toute prête à servir au moment où on étudiera l’histoire, de ce qu’était la question, et je n’entends pas simple interrogatoire.

 

Pour celui-ci, mon père employa d’abord les ruses d’usage : ton frère m’a tout avoué; et à celui-ci, ta sœur m’a tout avoué. Pour ma part, je n’imaginais pas le mois du monde le genre d’aveu que l’on attendait. Je cherchais.

 

Je ne compris que lorsque les interrogations, ponctuées de taloches, se firent vraiment très précises.  Je devinai que le moment était venu d’ouvrir la bouche et je racontai qu’André avait dit «individu». Je n’eus pas de succès avec mon histoire. Je méritai une double punition (dit mon père car nous, les punis, ne vîmes jamais la différence qu’il mettait entre la simple et la double).

 

D’abord pour avoir fait ce que l’on sait, car il n’était pas question que je pusse ne pas l’avoir fait, ensuite pour avoir menti. Quelle punition? Mais toujours la même. Cela commençait par quelques gifles mais toute de suite des grosses, puis, l’entrain venant, cela se continuait par des coups de poing et, si l’entrain tenait, cela finissait par des coups de pied qui nous transbordaient d'une pièce à l’autre sur tous les parquets du rez-de-chaussée.

 

Quand on songe qu’il mesurait six pieds, qu’il pesait deux cent trente livres, qu’il avait accompli dans sa jeunesse des exploits à la Jean Valjean dont toute l’île Anticosti – où il avait commencé sa carrière d’ingénieur – parlait encore, c’est quand même étonnant qu’il n’ait tué aucun de nous.

 

Cela me donne à penser qu’il devait se refréner quelque peu, qu’il ne prenait pas tout son plaisir et, vu de si loin, je trouve cela un peu mélancolique.

 

Petite, j’ai souvent souhaité, je l’avoue, qu’il arrive quelque accident de ce genre. Je regardais mes frères et sœurs et je me demandais qui d’entre eux j’aurais le moins difficilement sacrifié si j’avais pu choisir. Je les  aimais tous tendrement. Il aurait fallu que ce soit moi.

 

Mais, me résigner à ne pas assister à la punition? Jamais. Je me voyais témoignant devant un juge et, ne craignant plus rien, accablant l’accusé de toutes mes forces. J’en rêvais.

 

Naturellement, c'était ce qu'il y avait de plus pénible chez nous, les repas. Je n'ai jamais eu connaissance qu'un seul se terminât avant qu'il ne se produisit quelque drame. Nous avions beau ne pas bouger, ne pas parler, ne pas lever les yeux, rien n'y faisait. §


(3) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

La prière du soir dite, enfin! Nous eûmes la permission d’aller nous coucher, Françoise et moi partagions la grande chambre à l’angle nord-ouest. À notre premier chuchotis, mon père surgit.

 

— Je vous ai entendu chuchoter. Que disiez-vous?

 

L’inefficacité de ces requêtes-là ne fut jamais chose prouvée, pour lui. En vingt ans, il n’avait jamais obtenu une réponse franche, mais il continuait de poser des questions car, même s’il nous tenait pour menteuses, il était persuadé que nous n’aurions pu l’abuser longtemps.

La nature, qui ne donne pas toutes les armes offensives et toutes les armes défensives au même animal pour éviter que les autres espèces disparaissent, a fait les tyrans vaniteux. C’est pour ça que l’espèce des tyrannisés a pu survivre et se propager jusqu’à nos jours. §


(4) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

Quoiqu’il voulût nous marier, il nous refusait toujours le droit de regarder les garçons. Tous les matins, il allait à la messe à pied, et nous devions l’accompagner chacune à notre tour. Quand, par distraction, nous jetions un regard sur quelque automobiliste, nous en avions pour l’aller et le retour à nous faire traiter de filles perdues.

 

S’il ne passait pas d’automobiliste — nous allions à cette messe par tous les temps et, pour ma part, j’y suis allée par un froid de trente-cinq degrés Fahrenheit sous zéro, à ne pas mettre une voiture dehors — il cherchait, et il trouvait, d’autres symptômes de notre prochaine perdition.

 

L’hiver, cela pouvait toujours aller, la contrée étant déserte, mais l’été c’était pénible. Je me revois, cheminant près de lui qui criait de tout sa voix : «putain» et tous les synonymes, parce que, revenant à l’improviste, la veille, il m’avait surprise jambes nues. Il faisait chaud.

 

Toutes les maisons avaient leurs fenêtres ouvertes — le canton s’était peuplé depuis qu’il y avait une route — et, les unes après les autres, les estivantes qui avaient entendu ces cris, de loin, sortaient sur leur seuil pour nous regarder passer.

 

— Je finirai par t’envoyer dans une maison de correction!

 

Les femmes rentraient précipitamment et ressortaient accompagnées du reste de leur famille. Le nez bas, je passais sous l’œil ébahi des populations. Quelque chose comme la gloire!

 

Je n’aurais pas dû me laisser surprendre jambes nues. J’avais mérité ce lavage de bas de soie en public. Rien à dire. Il était plus ennuyeux de subir ce genre de reproches lorsque nous n’étions pas en cause.

 

Il arrivait, en effet, que notre seul crime fut d’être du même sexe qu’une coupable que nous ne connaissions même pas. En ne se conduisant pas comme mon père voulait que les femmes se conduisissent, n’importe quel être femelle pouvait nous attirer les pires ennuis. La femme du ministre de mon père nous en valut qui durèrent des mois.

 

Même si mon père fuyait comme la peste les réunions de tous genres, il lui arrivait de ne pouvoir se dérober. Cet été-là, il dut se rendre à un congrès d’ingénieurs. Il y présentait une étude. Comme dans tous les congrès, on discourt le jour et on s’amusa le soir.

 

Il y eut bal. La mode du moment voulait que les robes habillées n’aient pas de dos ou guère. De toutes les femmes présentes, ce fut celle du ministre qui exhiba, côté pile, le décolleté le plus plongeant.

 

— Un spectacle dégoûtant. De la peau à n’en plus voir la fin. Les filles de trottoir n’en montent pas autant. Mais les femmes ne sont contentes que lorsqu’elles se montrent la peau. Si je vous laissais faire, vous n’hésiteriez pas à porter de ces robes du diable. Je vous connais. Induire l’homme en tentation, susciter les mauvaises pensées, les mauvais désirs, c’est votre passe-temps favori. Vous êtes toutes les mêmes, bla-bla-bla.

 

Il professait que le moindre centimètre carré de peau nue, ou devinée à travers un tissu un peu léger, jetait les hommes dans les affres du désir, que la plus vague présomption sur l’existence d’un sein, ou même d’un genou, suscitait à la ronde d’incoercibles priapismes.

 

Si nous n’avions pas eu la bonne habitude de ne jamais l’écouter, nous aurions pu croire qu’un vent d’impuissance avait soufflé sur nos petits copains, car nous ne rencontrions jamais de tels libidineux.

 

Nous avions beau prendre des visages horrifiés, montrer notre désapprobation et nos désolidariser le plus traitreusement de notre sexe, rien n’y faisait. Ce que mon père n’avait pas osé dire à la femme du ministre, c’était nous qui l’écoutions. Si bien qu’à la fin il s’en fallut de bien peu qu’il ne s’imaginât nous avoir déjà vues en robes sans dos.

 

Cela eût pu arriver. Nous en avions qu’il ne connaissait pas, au fond de nos penderies. Nous sortions à peine de ce scandale qu’il en survînt un autre. Un jour qu’il avait une affaire urgente à régler avec un de ses ingénieurs, mon père décida d’aller la régler sur place et de se faire accompagner par mon frère André. C’était un dimanche, les bureaux étaient fermés, et il fut reçu dans le salon de son subordonné.

 

Pour commencer, tout alla bien. Mais, au bout de quelque temps, André s’aperçut que mon père se rembrunissait et parlait de départ bien qu’il eût accepté de rester à dîner. Sans savoir pourquoi, André se voyait constamment surveillé par mon père dont les pâles yeux bleus pâlissaient davantage de seconde en seconde. Signe de colère.

 

Ne sachant plus quelle contenance prendre, André regardait fixement devant lui.

Soudain, mon père se leva comme il savait se lever quand il était furieux, c’est-à-dire avec une violence qui mettait fort en péril la chaise qu’il quittait et les objets environnants. Les adieux furent brefs. Mon frère suivit tout docilement.

 

— Si j’avais su chez quelle sorte de gens j’allais, je t’aurais laissé à la maison. Et encore plus si j’avais su à quel point tu peux te conduire comme un idiot.

 

André ne comprenait pas. Il ne disait rien, attendant que l’explication vienne. Cela tardait. Mon père se perdait dans des imprécations diverses et dans des considérations générales sur l’immoralité, sur le mal qui entre dans l’âme par l’œil, sur le danger qu’il y a à sortir de chez soi et à fréquenter les autres humains, car la perversion est maintenant universelle. 

 

Au lieu de détourner les yeux de ce nu, tu ne pouvais lus t’empêcher de le regarder. Tu étais hypnotisé par ce tableau et tu as pris bien soin de t’asseoir juste ne face.

 

Te rends-tu compte que tu es, maintenant, en état de péché? Qu’il peut nous arriver un accident de voiture et que tu irais en enfer? Tu es allé communier ce matin et, cet après-midi, tu te complais à regarder des nudités. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous éviter le spectacle des tableaux immoraux, etc.

 

Le beau de l’histoire, c’est qu’André n’avait pas vu le nu. Quand nous étions avec notre père, trop occupés à nous surveiller nous-mêmes, nous ne voyions jamais rien de ce qui nous entourait. Ce scandale-là nous absorba pendant plusieurs mois.

 

Dèsqu’il entrait dans la maison, mon père jetait sur son fils un regard dégoûté et méprisant, l’air de se dire : ca n’est vraiment pas rien que d’être obligé de vivre avec des pestiférés. Le pauvre André n’arrivait plus à se laver de sa souillure. Aussitôt qu’il semblait distrait :

 

— Tu penses encore à cette cochonnerie? Mais tu en deviendras fou, ma parole!

 

Ce qui aurait pu arriver.

 

Il était vrai que tout était mis en œuvre pour nous éviter le spectacle d’images immorales. Mon père était abonné au National Geographic Magazine où l’on publiait, de temps en temps, des photos de primitifs nus. Il le recevait à son bureau et ne l’apportait à la maison qu’après avoir méticuleusement barbouillé tout ce qui aurait pu nous donner à penser.

 

C’est-à-dire qu’il ne laissait de visible que les têtes, les mains et les pieds. Il aurait pu déchirer la page. Cela l’aurait privé du plaisir de surgir devant nous en tonnant :

 

— Quelqu’un d’entre vous a cherché à gratter l’encre dont j’ai barbouillé ces photos. Qui est-ce?

 

Comment lui expliquer que nous n’allions pas risquer la torture pour entrevoir, mal débarbouillés, les seins-saucisses d’une Africaine ou d’une Australienne de l’arrière-pays? Comment lui faire comprendre que c’était lui qui avait dans son excès de zèle abimé le papier?

 

Quand aux tableaux qui ornaient les murs, chez nous, ils ne risquaient pas de nous induire en tentation. Ils étaient de la main de mon père. La résurrection du Christ, l’enfant malade guéri par le Christ, le Christ couronné d’épines. Quand j’étais encore trop jeune pour avoir le sens de l’humour, ces tableaux me remplissaient de honte. Non pas qu’ils fussent particulièrement laids quand on les compare à ce qu’on trouvait ailleurs. C’était cet étalage de bondieuseries qui m’humiliait.

 

— C’est moi qui ai fait tout ca, disait naïvement mon père au vicaire lors de la visite paroissiale, la seule visite officielle assurée que nous eussions de toute l’année.

 

L’attitude de mon père envers la peinture pouvait sembler mystérieuse. Elle n’était que révélatrice. Il ignorait toute autre peinture que la sienne.  Les autres peintres lui étaient indifférents et il n’avait aune envie de les connaître. L’art pictural, c’était lui. Jamais il ne ressenti le besoin de visiter un musée, de feuilleter un livre d’art – au reste, tout ca est plein de femmes nues – car il possédait sur le sujet tout ce qu’il voulait savoir.

 

Pourtant, il suffisait de l’entendre parler de l’époque où il avait commis ces croûtes pour comprendre qu’il y avait laissé beaucoup de son cœur.

 

Quelle époque? Il nous était difficile de le savoir car, dévoré du désir de passer pour un ancien enfant prodige, de temps en temps il décrochait tout et reculait les dates inscrites au bas des toiles. Si bien que les «je n’avais pas vingt-cinq ans» devinrent peu à peu des «je n’avais pas quinze ans». §


5) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

— Pense aux autres !

 

Qui signifiait : pense à moi. Il avait, au confort de ce moi, mobilisé la morale et la religion. Nous devions lui éviter tout ennui, par charité chrétienne, mais subir, toujours par charité chrétienne, le même ennui venant de lui.

 

— ne fais jamais aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse.

 

Celui-là, il le tenait sans cesse prêt… à notre usage. Si on lui eût fait remarquer que, peut-être, il n’aurait pas aimé être battu, qu’aurait-il répondu? Que cela n’avait rien à voir, car ses colères étaient de saintes colères.

 

Plus il avançait en âge, plus il était rempli du sentiment de sa sainteté. Comme il était solide et que sa vie semblait devoir durer encore longtemps, vint un jour où l’impatience le prit. Sa canonisation n’était pas pour demain, au reste il ne la souhaitait pas puisqu’il voulait mourir centenaire, mais un saint dans la famille eût amusé son désir.  C’était l’époque où les jeunes candidats à la béatification surgissaient de partout : Guy de Fontgalland, Gérard Raymond. Leurs photos circulaient.

 

C’était, d’habitude, des photos de première communion, celles pour quoi le photographe vous joint les mains et vous dit de regarder le plafond.

 

Nos grands-parents paternels avaient eu une fille qu’ils avaient perdue tôt. La petite Eva. Malheureusement, on ne pouvait faire état de sa photo de première communion : elle était morte à trois ans.

 

— Je ne serais pas surpris que la petite Eva soit morte en odeur de sainteté, se mit à répéter mon père d’un ton rêveur. Je me le rappelle bien. C’était une bonne enfant.

 

Il ne parla bientôt plus que d’elle et se crut obligé, chaque fois, d’ajouter un mot méprisant pour Guy et Gérard. Des imposteurs! Au bout de quelques semaines, il disait couramment : «Moi qui ai une petite sœur parmi les saints…» Puis, un jour, il nous fit part de son intention d’alerter son confesseur. Ce fut la fin de l’aventure. Après cette confession-là, nous n’entendîmes plus parler de la petite sainte.

 

Les confessions de mon père, ce devait être quelque chose! Jamais tort, toujours raison, et les anges ne sont pas mes cousins. Il y allait toutes les deux semaines et sortait du confessionnal avec la tête d’un homme qui vient d’être félicité. Tout en récitant ses trois Ave de pénitence, il comptait le temps que nous passions, à notre tour, derrière le rideau.

 

— tu es resté bien longtemps à confesse. Qu’avais-tu donc à accuser?

De là à prendre l’habitude de couper au plus bref, il ne nous en fallait guère. Aussi, en dix minutes, toute la famille était absoute. Les mains jointes, les yeux baissés, nous quittions la sacristie l’un derrière l’autre et nous allions prendre place dans l’église.

 

Il fallait trouver des places dans les premiers bancs : les messes entendues à l’arrière de l’église ne valent rien. De même pour les offices tardifs. Hiver comme été, nous allions à celui de six heures, seul efficace. Un protestant, en fin de compte, n’était pas plus mal vu de mon père qu’un catholique qui assiste à la messe de onze heures dans la dernière rangée.

 

Venait le redoutable moment de la communion. Mon père restait à sa place tant qu’il n’avait pas vu défilertoute sa tribu après quoi, seulement, il y allait à son tour.  Pour nous, revenir de la sainte table était une entreprise hasardeuse. Quelle que soit l’attitude adoptée, nous n’avions jamais pris la bonne.

 

— Veux-tu me dire pourquoi tu avais l’air tellement idiote en revenant de communier? Réponds!

 

Ah! Les questions paternelles!

 

Si l’un d’entre nous n’avait pas été communier, c’était, dès le retour à la maison, l’entretien particulier qui l’attendait, où il serait sommé de dire pourquoi il s’était abstenu. Entretien à éviter à n’importe quel prix.

 

L’hiver, nous allions à la messe en taxi parce que mon père, ne pouvait taquiner un moteur refroidi sans le caler à fond, ce qui nous aurait mis en grand danger d’assister à l’office de sept heures. Si le chauffeur tardait, mon père s’affolait.

 

— Bon! Nous allons partir à pied à la rencontre du taxi.

 

Il fallait sortir de la maison en courant et se précipiter sur la route. Au bout de quelques minutes, la voiture arrivait. Nous y montions. Et le chauffeur, pour se mettre dans le bon sens, devait venir tourner devant notre maison, car c’était, tout au long de la route, le seul endroit où il y avait assez d’espace.

 

Nous mourions de rire dans nos cols de manteaux, et le chauffeur, qui connaissait bien mon père, nous faisait des clins d’œil s’il en avait la chance. C’était un fort beau garçon.

 

Comment pénétrer l’attitude de mon père devant la religion? Peut-être avait-il si bonne opinion de lui-même qu’il voyait Dieu à son image et à sa ressemblance : intolérant, impatient, ne pouvant souffrir le moindre retard, le moindre inconvénient. §


(6) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

«Puisque tu vas te marier…» et conseils généraux sur le saint état du mariage, l’obéissance au mari, l’éducation chrétienne des enfants et l’obligation de les allaiter longtemps de façon que le mari puisse se satisfaire (ça n’était pas dit comme ça) sans que sa femme soit sans cesse enceinte.

 

C’était au reste, le système que mon père avait imposé à maman. Autrement, je raconterais ici l’histoire de quatorze enfants martyrs au lieu de sept. Dine écoutait tout ca d’un air compassé, comme si elle avait eu tous les futures enfants de Louis pendus aux mamelles. §

(7) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

Parfois, il se mettait en tête de nous montrer ce qu’il pouvait faire, lui. C’est là où ca devenait un drôle de jeu. Au billard, il déchira le feutre dès son premier essai, ce qui provoqua une distribution de taloches: un de nous l’avait fait sursauter en se mettant à parler, l’autre lui avait nui dans ses mouvements et le troisième avait projeté de l’ombre sur la bille.

 

Au tennis, il nous lança sa raquette à la tête au premier coup qu’il fit : nous lui avions servi de mauvaises balles. Il tenta, une seule fois, de jouer aux cartes avec nous : le sort ne lui donna pas d’atout et nous reçûmes son jeu au visage. Car mon père n’avait jamais tort. §

(8) Extrait du livre «La joue gauche» et «la joue droite» de Claire Martin

Enfin, il arriva et rien que d’entendre son pas précipité, toute la famille trembla. Il monta dans sa chambre sans rien dire. Nous l’entendîmes marcher de long en large pendant deux ou trois minutes, puis il m’appela.

 

— Ferme la porte.

 

Ayant dit cela, il se jeta sur moi et se mit à me frapper avec toute la violence dont il était capable, à coups de poing au visage et à coups de pied aux jambes. Il n’y avait rien à faire qu’à attendre. Je saignais du nez, de la bouche, j’avais un œil qui noircissait, spectacle coloré que je pouvais apercevoir au hasard des  glaces devant quoi je passais de temps en temps comme un ballon qu’on lance et qu’on rattrape.

 

À la fin de la première manche, je m’avisai que mes bas étaient couverts de sang : ce qui n’était censé survenir que deux ou trois jours plus tard avait été précipité par la peur et les coups. Tant pis! Un peu plus un peu moins, ca n’avait plus d’importance. §

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(Exemple: Henri+Menier)



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Livres et documents sur Anticosti

(50) (Nouveau)

Cahiers d'entretiens avec des Anticostiens (1976-1981) par LUC JOBIN, 160 pages

(49) (Nouveau)

Collection Desbiens

 Ces 174 photographies font partie de la collection Desbiens. Ces documents sont présentés pour la première fois grâce à LUC JOBIN.

(47) Le journal LE SOLEIL publie en 1897, 1898 et 1899, et rapportées ici, les actualités, rumeurs et nouvelles qui provenaient de l'île d'Anticosti au début de l'ère Menier.

(46) Actes Notariés - en 1899 Henri Menier achète de 26 habitants anticostiens 28 lots de terrains et habitations dans le but de devenir le seul propriétaire sur l'île.

(45) Anticosti sous Gaston Menier (1913-1926) par Rémy Gilbert. Document inédit de 24 pages par l'auteur du livre «Mon île au Canada», 1895-1913, les Éditions JID.

 

(44) Suite à une demande de Menier pour la concession de lots de grève et de lots à eau profonde à Baie-Ellis, Félix-Gabriel Marchand, premier ministre et Simon-Napoléon Parent, maire de Québec font une visite sur l'île d'Anticosti (voyage raconté par le journaliste du journal Le Soleil, 1898). 4 pages.

 

(43) Gaston, Albert et Henri Menier, leurs yachts en image. référence: Voiles/Gallimard, Les mémoires de la mer, Jack Grout.

 

(42) 1827, naufrage du Harvest Moon au large d'Anticosti. En 1928 le fils d'un naufragé raconte.

 

(41) En 1850 on envisageait de faire de l’île d’Anticosti, une prison. Journal Le «Canadien», le 21 juin 1850

 

(40) Le steamer «Le Merrimac» s'échoua sur l'île d'Anticosti en 1899. Le journal Le soleil raconte l'aventure, liste des passagers et biographie de l'un d'entre eux, un québécois.

 

(39) L'Aberdeen, un steamer de ravitaillement des phares s'échoua en 1899 près du cap Jupiter, Anticosti; un passager raconte.

 

(38) M. Clarke Wallace (1844-1901) membre du parlement canadien était un adversaire de l’île d’Anticosti de M. Menier. LA PATRIE, LE 11 AOÛT 1899

 

(37)  En 1902, l'honorable Charles Marcil, député de Bonaventure livre à un journaliste ses impressions sur Anticosti. M. Marcil est le grand-père de la comédienne Michèle Tisseyre.

 

(36) Bail entre Gaston Menier et la commission du Hâvre de Québec, pour la location de locaux au Bassin Louise de Québec, le 29 décembre 1920, devant notaire.

 

(35) Vente d'Anticosti le 19 juillet 1926 à la Wayagamac Pulp and Paper devant le notaire E.G. Meredith.

 

(34) Exploration Vaureal-Jupiter, Anticosti, entre le 7 et le 28 mars 1901 par Ovila Montreuil ingénieur civil, assistant de Jacquemart, chef du service des travaux.

 

(33) Le Croiseur anglais HMS Pallas s'arrêta à Anticosti en 1900, dont le capitaine était l'Honorable Walter G. Stopford. Article paru dans le Petit Journal Militaire, Maritine, Colonial le 25 septembre 1904.

 

(32) NOTAIRES - 20 actes notariés du temps de Menier

 

(31) L'acte de vente d'Anticosti à Menier le 18 décembre 1895 devant le notaire William Noble Campbell

 

(30) Le testament de Louis-Olivier Gamache le 22 septembre 1851 devant le notaire Jos. Pelchat

 

(29) Rapport du ministre de l'agriculture de la Province de Québec, 1909.
Lauréat de la médaille d'argent et du diplôme de Très-Grand-Mérite:
Alphonse Parent, Baie Ellis, Anticosti.
Index de 57 noms, 16 pages

 

(28) Lettre de Mgr J.C.K. Laflamme à Henri Menier, septembre 1901 

 

(27) Lettre de Joseph Schmitt à Mgr J.C.K Laflamme le 17 juillet 1901

 

(26) Lettre de Joseph Schmitt à Mgr J.C.K. Laflamme le 5 juillet 1901

 

(25) Lettre de Henri Menier à Mgr J.C.K. Laflamme le 5 octobre 1901

 

(24) Permis de séjour du 15 août au 30 septembre 1901 délivré à Monseigneur J.C.K Laflamme par L.O. Comettant.

 

(23) En 1899, 16 journalistes ont visité l'île Anticosti. Voici ce qu'ils ont raconté.

 

(22) Titre en faveur de Louis Jolliet par Jacques Duchesneau, 1680

 

(21) L'île Ignorée, TOME 2, manuscrit de Georges Martin-Zédé achevé en 1938, (archives de l'Université Laval), édité ici pour la première fois avec un index de 303 noms, 42 pages.

 

      L'île Ignorée, TOME 1, par Georges Martin-Zédé, manuscrit de Georges Martin-Zédé achevé en 1938, (archives de l'Université Laval), édité ici pour la première fois avec un index de 114 noms et 24 illustrations, 33 pages.

 

(20) Voir le vidéo, journal LE MONDE

Jerôme Verroust, journaliste français, parle du parcours de guerre de son arrière-grand-père, Fernand Le Bailly sur cet entretien vidéo au journal Le Monde. Fernand Le Bailly a séjourné sur l’île Anticosti à partir de 1896. Il était marié à Simone Lavigne, petite-fille de Oscar Comettant.

 

(19) Monographie de l'île d'Anticosti par le docteur Joseph Schmitt, 1904, 370 pages.

 

(18) À la mémoire de feu Arthur Buies, journal le Soleil, le 28 janvier 1901.

(17) Arthur Buies, journal le Soleil, Lettre à Ernest Pacaud, le 30 septembre 1899.

 

(16) Arthur Buies, journal Le Soleil, Anticosti, le 23 septembre 1899.

 

(15) La date de la mort de Jolliet, 1886, par l'abbé Cyprien Tanguay

 

(14) Projet de perpétuer le souvenir de Jolliet, 1980, par Luc Jobin, article de Monique Duval, Le Soleil.

 

(13) Lettre de Mgr Charles Guay à Mgr Clovis-Kemner Laflamme, 1902

 

(12) Notice sur l’île Anticosti par Jules Despecher (1895), 6 pages

 

(11) Anticosti par Damase Potvin (1879-1964), 6 pages

 

(10) Le journal de Placide Vigneau (1842-1926) 

 

(9) Histoire et légendes d'Anticosti. Jolliet, Gamache, Ferland, Vigneau et les naufrages, 6 pages.

 

(8) Lettre de Fernand Le Bailly à Mgr. Joseph-Clovis K. Laflamme en 1905.

 

(7) Correspondance du Consul de France, M. Kleskowsk.

 

(6) Cahiers-carnets-agendas de Martin-Zédé (1902-1928).

 

(5) Registre de pêche aux saumons (1896-1928) de Henri Menier sur l'île Anticosti.

 

(4) Entrevue avec Luc Jobin, par Lucien Laurin, le 8 avril 1982.

 

(3) Anticosti 1900, C. Baillargé, 14 pages. (Lire sur Ipad)

 

(2) Oui, j'ai aimé... ou la vie d'une femme, Thyra Seillières, 1943, conjointe de Henri Menier, 244 pages. (Lire sur Ipad)

 

(1) Anticosti, esquisse historique et géographique par Nazaire Levasseur, 1897, 40 pages. (Lire sur Ipad)

 

(0) Lettres de l'Ile Anticosti de Mgr Charles Guay, 1902, 312 pages.

Le 30 mars 2011

 

Rajout: 77 partitions musicales de la main de Lucien Comettant alors qu'il était gouverneur de l'Ile Anticosti. Ces documents dormaient dans une boite depuis 100 ans. Il s'agit de pièces musicales de style victorien pour piano (et violon).

 

Plusieurs livres ont été ajoutés dans la bibliothèque dont:

 

(1) La ville de Québec sous le régime français, volume 1, 1930, 549 pages 

     La ville de Québec sous le régime français, volume 2, 1930, 519 pages

 

(2) Zéphirin Paquet, sa famille, sa vie, son oeuvre. Québec, 1927, 380 pages. Notre arrière-grand-mère était la fille de Zéphirin. Il est le fondateur de la Compagnie Paquet de Québec.

 

(3) L'île d'Orléans, livre historique publié en 1928, 505 pages

 

(4) La biographie du docteur Ferdinand Philéas Canac-Marquis écrite par Nazaire LeVasseur, 1925, 276 pages. Ferdinand est le frère de Frédéric Canac-Marquis, notre arrière-grand-père.

 

Nazaire LeVasseur, l'auteur, est le père de Irma LeVasseur, première médecin femme canadienne-française et fondatrice de l'hôpital Ste-Justine. Il avait été l'agent de Henri Menier et de Martin-Zédé à Québec pour l'entreprise Anticosti.

 

Pauline Gill a récemment écrite un roman historique sur Irma LeVasseur et parle dans son livre de Nazaire LeVasseur et de Ferdinand Canac-Marquis, fils de Frédéric Canac-Marquis