L’île Anticosti, dont le célèbre navigateur Jacques Cartier, de Saint-Malo, prit possession au nom du roi de France en 1535, a fait partie du grand domaine colonial dans l’Amérique du Nord, désigné sous le nom de Nouvelle-France.
Elle passa sous la souveraineté de l’Angleterre, avec le Canada et l’Acadie, lors du traité de Paris de 1763, qui ne laissa aux Français que la liberté de pêcher dans le golfe Saint-Laurent sans droit d’accès sur les côtes du continent et des îles, autre que celui qu’ils tenaient et du traité d’Utrecht de 1713 de pêcher et de sécher le poisson sur une partie de la côte de Terre-Neuve, avec défense d’y établir aucune habitation en façon quelconque, si ce n’est des échafauds et des cabanes nécessaires et usités pour sécher le poisson et d’aborder dans l’isle dans d’autre temps que celui qui est propre pour pêcher et nécessaire pour sécher le poisson.
Elle dépend du Canada et fait partie de la province de Québec.
L’île d’Anticosti avait été concédée, en 1680, par lettres patentes du Roi Louis XIV, au sieur Louis Jolliet au titre de fief, en considération de sa découverte du pays des Illinois et de son voyage dans la baie d’Hudson, pour l’intérêt et l’avantage de la ferme du Roi, pour y faire des établissements de pêche de morue verte et sèche, huiles de loups marins et baleines, et, par ce moyen, commercer en ce pays et dans les Isles de l’Amérique.
Suivant le rapport de l’Intendant Jacques du Chesneau, le sieur Jolliet y possédait, dès 1683, un établissement considérable.
À sa mort, en 1696, le fief d’Anticosti fut dévolu à ses enfants après lesquels la propriété s’est perpétuée, pendant plus de 200 ans, en la possession indivise d’héritiers ou ayants-droits, résidant en Europe, qui paraissaient ne s’être préoccupés de leur île que pour en interdire l’accès, en vue de la conversion des forêts et de la protection des animaux à fourrure, plutôt que pour la mettre en valeur et en favoriser le peuplement.
En 1884, elle fut adjugée, en vente publique, sur licitation, par ordre de la Cour de Québec, acte qui constitue l’origine indiscutable du titre actuel de propriété.
L’adjudicataire d’Anticosti en fit l’apport, deux ans plus tard, au prix de 200,000 (Fr. 5,000,000), payable en actions, à une Compagnie anglaise «The Governor and Company of the Island of Anticosti Limited», au capital de 300,000 (Fr. 7,500,000) qui s’était constituée pour l’acquérir et entreprendre l’exploitation; mais, les souscriptions ayant fait presque complètement défaut, la Compagnie ne tarda pas, faute de fonds, à suspendre ses opérations et à être mise en liquidation.
C’est dans ces circonstances que les soussigné, M. Jules Despecher, de Paris, considérant la situation incomparable d’Anticosti au centre des eaux réputées les plus poissonneuses de l’Amérique du Nord et son importance de premier ordre au point de vue des pêcheries, s’en est assuré la possession à un prix très modéré, suivant acte de 8 décembre 1894, par lequel le liquidateur, agissant au nom de ladite Compagnie, lui vend et cède l’île entière avec ses droits et dépendances et s’engage à lui en transférer la propriété en due forme, tout en lui réservant un délai de dix mois pour faire l’étude approfondie de l’affaire, pour contrôler les renseignements et informations relatifs aux avantages et aux ressources de l’île et pour procéder, pendant l’été de 1895, à la reconnaissance du littoral et des ports qui s’y trouvent, ainsi qu’à l’inspection aussi complète que possible de l’intérieur des terres, afin qu’il puisse, en pleine connaissance de cause, à l’expiration de ce délai, exiger l’exécution dudit transfert ou y renoncer.
Ce n’est point dans un but de spéculation personnelle que M. Despecher s’est assuré la possession d’Anticosti, dès qu’il a été informé de la possibilité de l’acquérir, mais, surtout dans l’intention d’en faire bénéficier les entreprises de pêche maritime et les populations qui s’y adonnent, auxquelles elle assure un nouveau champ d’exploitation productif, où elles pourront acquérir les droits permanents que comporte la possession de l’île comme propriété privée, sous la souveraineté du Canada et se livrer en sécurité à toutes opérations de pêche ou autres, dans des conditions de stabilité et de durée qui leur sont interdites sur le «French Shore» de Terre-Neuve.
C’est aux représentants de ces intérêts que s’adresse la notice ci-après, qui a pour objet de signaler à leur attention les avantages et les ressources d’Anticosti et de les convier à concerter les moyens de tirer tout le parti possible dans l’intérêt commun, de la situation unique de cette ancienne possession française, où tout est encore à créer aujourd’hui, comme au jour, à peu de chose près, où la souveraineté en fut aliénée.
Les documents de date récente, relatifs à Anticosti, consistent en témoignages d’anciens habitants de l’île, pêcheurs ou fermiers et gardiens des phares, de MM. Thomas J. Touzel, constructeur de bateaux à English Bay, Hospice Merville et John Nickerson, chefs des bureaux de poste à English Bay et à Fox Bay, Miss Pope, qui y est née, aujourd’hui chef du servi ce télégraphique, M. Thomas L Brun, gérant de l’île en 1885, etc. : en publications d’explorateurs ou voyageurs tels que sir William Logan, directeur de la Société géologique de Québec; MM. A. R. Roche, du Royal Colonial Institute de Londres, Peter Mitchell, ancien ministre de la Marine et des pêcheries du Canada, A. P., Caron, de Montréal, ministre de la milice, John Grégory, de Québec, chef du département de la Marine et des pêcheries; W.F. Witcher, Commissaire de Pêcheries – les professeurs J. H. Hall, de New-York, Charles Linden, de Buffalo, William Cowper et James Richardson de Montréal, géologues; John Lowell, du Lowell’s Gazetteer de Montréal; W. A. Kalneck, d’Halifax, géomètre, John Eden, chef du port de Gaspé; J.-T. Bright, de Montréal, auteur de l’intéressant «Voyage autour de l’île d’Anticosti», etc. et en rapports officiels du département de la Marine et des Pêcheries du Canada.
Les renseignements les plus complets sur les ressources de l’île, et les plus pratiques et en vue de leur mise en valeur, se trouvent dans les rapports de MM. A. Light, de l’Institut des Ingénieurs civils et ingénieur en chef des Chemins de fer du Gouvernement de la province de Québec, et J. Timbers, de Norfolk, agronome réputé en Angleterre et en Australie, qui furent envoyés comme experts, en 1886, par le Conseil d’administration de la «Governor and Company of the Island of Anticosti», pour faire l’inspection de l’île et constater «de visu» le bien fondé des informations et appréciations antérieures.
Ils sont complétés par les déclarations de M. F.-W. Stockwell, adjudicataire de l’île, qui l’a administrée pendant les deux années qu’elle est restée en sa possession.
Il y a lieu toutefois de mentionner que les renseignements que contiennent tous les documents précités, s’appliquent surtout au littoral, car pas un de leurs auteurs me parait avoir pénétré dans l’intérieur et aucun ne fait mention d’un habitant, fermier, pêcheur ou chasseur qui ne soit jamais avancé à une distance de plus de six ou huit kilomètres de la côte. L’intérieur des terres avait donc été à peine exploité et était très peu connu, lorsqu’au mois de février 1888, M. J.-B. Saint-Cyr, arpenteur de la province de Québec, qui avait été envoyé par la Compagnie pour établir le plan d’une ville, entreprit l’exploration de l’intérieur de l’île.
C’est le premier qui l’ait traversée dans sa plus grande largeur. Depuis lors, M. E.-G. Robinson, de Bath, directeur de l’île qu’il a habitée et administrée depuis sept ans pour le compte de la Compagnie, a pénétré fréquemment sur différents points du territoire à l’intérieur, et a pu donner de nouvelles informations utiles et dignes de foi, sur sa configuration et sur ses ressources.
L’ensemble de ces renseignements a fourni les éléments de la notice ci-après